L'ACTE DE FOI
Extrait de la « philosophie de l'homme » de Roger Verneaux,Éditions Beauchesne1966 »Un cours « magistral »d'un professeur thomiste exceptionnel
« Nous prenons ici la foi au sens strict, la foi chrétienne ou plus exactement catholique, comme adhésion aux vérités révélées, telles qu'elles sont enseignées par l'Église:
C'est un acte surnaturel.
La grâce prévient et soutient tout le travail psychologique, depuis la première « bonne pensée » jusqu'à la « profession de foi» explicite. Mais la grâce n'intervient pas ordinairement dans le fonctionnement naturel de l'esprit, elle ne fait pas nombre avec les causes secondes. Par conséquent, il est possible d'analyser l'acte de foi d'un point de vue simplement psychologique, à la seule condition de ne pas prétendre que c'est le seul point de vue possible et légitime : le point de vue théologique est non seulement tout aussi légitime, mais infiniment plus profond.
1. - L'acte de foi est un jugement.
Il est très important pour la vie spirituelle de situer exactement la foi . Elle est d'ordre intellectuel et non pas d'ordre affectif, un jugement et non pas un sentiment. L'acte de foi, en effet, est l'assentiment à une vérité révélée, et donc, comme tout jugement, l'affirmation d'un rapport entre deux idées. en tant que vrai ou réel. La formule-type n'est pas, comme le laisserait penser le titre d'un ouvrage récent: « Je crois en toi. mon Dieu », mais « Dieu est », ou « Jésus-Christ est Dieu». Il n'est pas nécessaire de formuler: « je crois ... ». car l'affirmation: « Jésus~Christ est Dieu» est un acte de foi, en raison de son contenu ou de son objet. Et il est faux de faire entrer dans la formule une invocation quelconque adressée à [Dicu, car la piété, l'adoration, la prière, suivent de la foi mais ne la constituent pas. Il est fort possible de faire un acte de foi sans aucune piété, et même sans aucune charité, si l'on est dans la sécheresse ou en état de péché mortel.
Nombre de gens pensent avoir « perdu la foi » parce que les sentiments de piété de leur enfance se sont dissipés; ils vivent en conséquence, de sorte que la fausse impression d'avoir perdu la foi les amène peu à peu à perdre effectivement la foi, c'est-à-dire à être incapables de donner leur assentiment aux dogmes.
2. - Le jugement est motivé.
Selon la doctrine catholique, la foi est « raisonnable », elle est rationnellement motivée, elle n'est pas un acte aveugle, un « saut dans l'absurde» comme le dit Kierkegaard, fidèle écho de Luther. La foi est rationnelle d'abord négativement, en ce sens que l'objet n'est pas intrinsèquement contradictoire, impossible ou absurde. C'est la première condition pour qu'il soit croyable. Et c'est pourquoi les théologiens prennent la peine de montrer que les dogmes les plus difficiles, comme celui de la Trinité ou de l'Incarnation, ne contreviennent pas au principe de contradiction. De plus la foi est positivement raisonnable, en ce sens qu'il y a des raisons de croire», des « motifs de crédibilité». C'est le travail de l'apologétique que de passer en revue ces raisons; elle est l'œuvre d'un croyant qui étale devant lui, si l'on peut dire, les raisons qu'il a de croire. L'apologétique apparaît ainsi comme une partie intégrante de la Théologie. Elle n'est aucunement destinée à convertir les incroyants. S'il arrive que les raisons qu'un chrétien a de croire paraissent satisfaisantes à un incroyant, tant mieux, mais c'est accidentel, ce n'est pas le but de l'apologétique.
Le chrétien sait parfaitement que la conversion du cœur est une œuvre qui transcende toutes les ressources de l'apologétique, et qu'elle s'obtient d'abord par la prière et le sacrifice, puis par l'exemple et par la simple présentation du message chrétien qui porte en lui-même sa lumière. C'est pour son bien propre que le chrétien doit réfléchir aux fondements de sa foi.
Au fond, toutes les raisons de croire se ramènent à une seule : le témoignage des Apôtres et de l'Église. Mais la foi porte au delà du témoignage des hommes. En lui, à travers lui, elle perçoit la parole de Dieu, de sorte que, en définitive, ce n'est pas sur une autorité humaine mais sur l'autorité de Dieu qu'elle repose, propter auctoritatem ipsius Dei revelantis (Denz, 1789). Aussi est-elle plus certaine que toute démonstration, car Dieu est la vérité même et Ses évidences valent infiniment mieux que les nôtres.
3. - La foi est « obscure ».
(Le RP Garrigou Lagrange parle souvent du clair obscur des mystères.C'est pourquoi nous devons nous instruire et chercher des éclaircissements,comme le mal voyant implore la clarté) L'objet de l'affirmation ne peut jamais être rendu évident; la foi porte sur des mystères qui ne peuvent être ni démontrés ni compris. Si les dogmes pouvaient être démontrés, il y aurait alors science et non plus foi. On ne peut à la fois savoir et croire (le même objet, en même temps, sous le même point de vue).Le Père Madigan disait: « Il y a des vérités qu'il faut croire, car sans cela on ne comprend plus rien » Certains dogmes peuvent être retrouvés par la raison, démontrés d'une manière rigoureuse: spécialement l'existence de Dieu, Créateur du ciel et de la terre. Pendant le temps qu'on tient sous son regard l'ensemble de la preuve, on sait que Dieu existe et l'on ne croit pas en Lui. Mais bientôt, laissant de côté les preuves, on revient à un acte de foi.
4. - La foi est libre.
De ce que le jugement n'est pas rendu évident par les raisons, il s'en suit qu'il n'est pas nécessité, mais suppose une intervention de la volonté. On voit évidemment qu'il faut croire, mais il reste à poser l'acte de foi. On le pose librement, si l'on veut, sans être contraint. C'est ce qui fait que la foi est une vertu et qu'elle est méritoire. La volonté intervient, comme en tout jugement, d'une façon indirecte pour appliquer l'attention et écarter les objections. Mais elle a, de plus, une action directe, elle « impère » le jugement lui même que les raisons ne suffisaient pas à déterminer.
En conclusion, nous signalerons deux choses. D'abord, qu'il est vain de vouloir utiliser l'introspection pour savoir si l'on a la foi. On ne trouvera rien, parce que la foi, comme 'habitus', est inconsciente.(Un habitus consiste pour un sujet par le fait de posséder quelque chose distincte de lui même de posséder : du verbe habere : avoir.) La conscience ne peut saisir que les actes de foi, au fur et à mesure qu'on les accomplit. La vie, la conduite, la pratique sont plus révélatrices, quoiqu'il soit possible, au moins pour un temps, d'accomplir les exigences de la Religion sans y adhérer intérieurement. L'habitus ne se discerne que par la facilité avec laquelle on fait des actes de foi :(on peut dire alors qu'on « a » la foi ou pas....)
Quant aux doutes qui peuvent traverser l'esprit, ils ne mettent aucunement la foi en danger mais font bien plutôt partie intégrante de sa vie. En effet, si par doute on entend les questions qui se posent au sujet du contenu des dogmes, ils sont l'origine d'une recherche qui est toute la théologie : fides quaerens intellectum. Si par doute on entend les objections qui se présentent au sujet de la vérité même des dogmes, ils traduisent simplement dans la conscience le fait que les vérités révélées ne sont pas évidentes ni démontrables, et qu'en conséquence l'assentiment qu'on leur donne est libre, autrement dit que la foi doit être constamment reconquise. L'Église maintient seulement qu'il n'y a pas d'objection telle qu'elle soit une raison valable de refuser son assentiment. »
« Pour savoir la valeur d'un acte, imaginez l'acte contraire et décidez-vous»A suivre