Les vices contre la Charité 7/7
j) Le. Scandale.
Voici le péché le plus directement opposé à la Charité envers le prochain. Celle-ci en effet commande d'aimer l'homme tout, entier, mais surtout ce qu'il y a de meilleur en lui, son âme spirituelle, et de lui faire du bien jusqu'à lui procurer son bonheur éternel.
Or, le scandale (étymologiquement: objet qui provoque une chute, la chute dans le péché) s'attaque justement à l'âme; il lui fait du mal jusqu'à l'entraîner si possible à son malheur éternel: la damnation. C'est donc une faute marquée d'une double culpabilité: celle : l'acte personnel commis, et celle de l'acte provoqué chez autrui. Au scandaleux, le Souverain Juge ne demandera pas seulement :
« Qu'as-tu fait? » mais de plus : « Qu'as-tu fait de ton frère « ?
Il y a le scandale actif, direct ou indirect, et le scandale passif. Actif, direct ou volontaire : le commandement, le conseil, la suggestion, la pression physique ou morale qui incitent le prochain à commettre une action coupable.
Indirect ou involontaire: l'attitude dont l'influence ou l'exemple, sans intention formelle de son auteur, mais en fait inévitablement, provoque chez quelque témoin le désir de pécher.
C'est, somme toute, l'homme qui, délibérément ou non, se fait tentateur vis-à-vis de ses semblables.
Scandale passif, l'action coupable qui résulte du scandale actif, sinon exclusivement, du moins comme de l'une de ses causes, d'une occasion qui l'a favorisée.
Point n'est nécessaire d'ailleurs pour qu'il y ait scandale, que « le passif » reproduise exactement le geste de « l'actif ». Le scandale ne se réduit pas au mauvais exemple: le péché du scandalisé fût-il d'une tout autre nature que le péché du scandaleux, il suffit qu'il y ait en eux une relation de cause à effet. Ainsi la vue d'un vol, si elle ne donne pas envie de voler, déclenche médisance, aversion, etc …
Il va sans dire que le scandale actif peut exister sans le scandale passif. Les martyrs sont violemment poussés à l'apostasie ou à quelqu'autre crime; mais loin de céder, ils résistent victorieusement, et plus la tentation est effroyable plus leur triomphe est éclatant. .
On entend parfois le témoin d'une action scandaleuse s'écrier d'un ton indigné: « Je suis scandalisé »! Ce n'est pas exact alors; car le mauvais exemple, dans la circonstance, au lieu de suggérer un geste analogue, provoque plutôt une protestation et une réaction en sens contraire. Le scandale actif reste réel et garde toute sa culpabilité; mais il ne produit pas son effet, ses victimes se dérobant à son influence.
Il n'est que de prendre modèle sur Jésus-Christ Lui-même, lors que l'apôtre Pierre tente de le détourner de Son sanglant sacrifice : « Arrière tentateur; cesse de Me scandaliser » (Matt.XVI,22)
Ici se place la malédiction terrifiante que le Christ lance contre quiconque scandalise les enfants . Les petits et les simples, tous ceux que caractérisent la faiblesse de caractère et l'ingénuité d'esprit, sont naturellement plus sujets au scandale passif : impressionnables et sans défense, ils sont des proies faciles pour les mauvais conseils et les mauvais exemples. Outre qu'il est particulièrement odieux de s'attaquer à des êtres fragiles, c'est une infamie plus grave aussi de flétrir délibérément des âmes innocentes.
La crainte de les scandaliser va jusqu'à dicter parfois une condescendance excessive. En droit, le « Fils de Dieu » était parfaitement dispensé de payer le tribut. Mais ceux qui ne voyaient en Lui qu'un « Fils de l'Homme », comment auraient-ils interprété cette abstention? Sans doute, en auraient-ils pris occasion pour se soutraire eux aussi à cette loi qui, pour eux, était obligatoire? Afin de ne pas donner un fâcheux exemple, Jésus délègue l'apôtre Pierre pour solder un impôt qu'Il ne doit pas. Ainsi faut-il parfois savoir s'abstenir de certaines choses légitimes ou s'astreindre à certaines choses facultatives, pour ménager la délicatesse et la susceptibilité de certaines âmes. Ce qui est permis n'est pas toujours opportun» !
Il en va autrement toutefois lorsqu'il s'agit du scandale pharisaïque.
Appuyés sur la lettre des prescriptions légales, les Pharisiens contemporains du Christ prenaient ombrage de son attitude bienfaisante et miséricordieuse si conforme pourtant à l'esprit de la loi. Guérissait-Il quelque malade par exemple le jour du Sabbat? Ils s'en offusquaient comme d'une violation flagrante du repos . Ils feignaient du moins d'être scandalisés pour trouver un nouveau motif d'accuser Jésus qu'il leur fallait à tout prix prendre en défaut. Chose invraisemblable : dans ce cas, il y a « scandale passif » sans qu'il y ait de « scandale actif ». C'est-à-dire que des esprits incroyablement rétrécis ou faussés, plus souvent encore une insigne mauvaise foi et un parti pris haineux résolus d'avance à condamner une personne ou une catégorie de personnes détestée, et à donner à. cette condamnation une apparence de justification, entreprennent de trouver à redire dans tout ce qu'elles font, s'emploient à dénaturer leurs actes et leurs intentions, torturent les faits pour voir le mal partout et jusque dans les bonnes actions les plus évidentes.
Faudrait-il alors s'abstenir de faire le bien sous prétexte de ne pas froisser ce zèle hypocrite, et de ne pas provoquer ce simulacre de scandale ? On verrait donc la perfidie dicter les limites à la bienfaisance : les bons s'interdiraient d'agir pour ménager les méchants. Et la précaution serait d'ailleurs inutile; car l'inaction ferait scandale autant et plus que l'action, et cette fois la cause en serait réelle.
C'est le moment ou jamais par conséquent, de « bien faire et laisser dire ».