De l'Éternité de Dieu.(L.Lessius S J–Les Noms divins)
Dieu est appelé Éternel :
1 - Parce qu'Il a été une infinité de siècles avant tout le temps qu'on peut imaginer, et parce qu'Il sera encore une infinité de siècles après tout le temps imaginable.
Concevez, avant la création du monde, autant de myriades de siècles qu'il y a de grains de sable sur tous les rivages, qu'il y a de gouttes dans toutes les eaux, qu'il y a de feuilles dans tous les arbres, qu'il y a de brins d'herbe dans tous les prés, de grains de semence dans tous les champs, et, à ce nombre incompréhensible, ajoutez autant de millions de siècles qu'il faudrait de grains de poussière pour remplir tout l'univers, Dieu a cependant précédé tout cet incompréhensible espace de temps, qui peut nous paraître à nous comme une éternité, par des siècles infinis et par d'infinis millions de siècles.
Allons encore beaucoup plus loin. Qu'un ange, avec sa puissance intellectuelle, multiplie tout ce nombre de siècles par tous les procédés de multiplication connus par l'esprit humain et les procédés connus par l'esprit angélique; que pendant mille ans il réitère sa multiplication; ce n'est pas assez : au lieu d'un seul ange, que tous les anges multiplient de la même manière ce nombre de siècles pendant mille ans; que tous les nombres obtenus par ces multiplications soient additionnés, il en résultera sans doute un nombre qui accable tout esprit créé; mais, enfin, ce nombre de siècles, quelque prodigieux qu'il soit, sera nécessairement fini, et Dieu sera encore au delà avec toute son éternité : le fini demeure fini; l'infini demeure infini, séparés l'un de l'autre par un intervalle infini.
Un esprit créé ne peut, en remontant dans le passé, concevoir un nombre d'années ou de siècles qui soit tellement grand qu'il ne s'arrête enfin à un terme, et que Dieu n'ait existé avant ce terme et ne l'ait précédé d'une infinité de siècles. C'est pour cette cause qu'il est appelé par Daniel l'Ancien des jours et, dans l'Apocalypse, le Premier et le Dernier
C'est de la même manière qu'il faut concevoir l'éternité future. Concevez pour l'avenir autant de siècles que nous venons d'en énoncer pour. l'éternité antérieure; tous ces siècles, Une fois écoulés, il restera encore des millions de siècles, et même des millions infinis de siècles, pendant lesquels Dieu régnera avec tous Ses saints, et les damnés seront tourmentés dans l'enfer. Non, aucun esprit créé ne peut concevoir une si grande multitude de siècles, qu'après cette multitude écoulée, il ne reste encore une infinité de siècles à venir.
Il faut remarquer ici que l'éternité entière, en tant qu'elle dit une certaine étendue de la durée, est, selon notre manière de concevoir, composée de deux parties, bien qu'en elle-même elle soit tout à la fois et indivisible On conçoit l'une de ces parties comme existante avant tous les siècles imaginables, comme toujours passée; celle-là convient à Dieu seul, et je ne pense pas qu'aucune créature en soit capable, comme nous l'avons prouvé ailleurs, d'après les Pères. On conçoit l'autre comme existante après tous les siècles imaginables, comme toujours future, de telle sorte qu'on n'en puisse jamais rien ôter qui la diminue; et celle-ci peut être communiquée aux créatures, car c'est ainsi et que le monde renouvelé et que la béatitude des saints et les tourments des pécheurs seront éternels.
2- Dieu est appelé Éternel non seulement parce que, avant tout temps concevable, il a existé des siècles infinis, et qu'après tout temps concevable il existera des siècles infinis, mais encore parce qu'Il possède d'une manière très parfaite, simultanément et collectivement, tous les biens, toute la puissance, la sagesse, la béatitude, toutes les joies et les délices, qu'Il pourrait acquérir durant un temps infini, et qu'Il les possède immuablement de toute éternité et pour toute l'éternité, sans aucun commencement et sans aucune fin, de telle sorte qu'on n'y saurait rien ajouter ni rien enlever. Nul homme en ce monde ne peut posséder collectivement tous les plaisirs et tous les bonheurs dont il est capable de jouir durant le cours entier de sa vie, de telle sorte qu'il les sente tous à la fois, qu'il les perçoive et qu'il les goûte; il ne pourrait même les supporter tous ensemble et en même temps, mais il mourrait de l'excès de sa joie et de la dilatation qui ferait éclater son cœur; et les exemples n'en sont pas rares. Plusieurs, ne pouvant supporter l'excès de la joie que leur causait quelque grand bonheur inattendu, ont soudain expiré. Mais, quant à Dieu, toutes les joies, tous les plaisirs que durant un temps infini Il pourrait retirer de biens infinis, Il les possède simultanément et collectivement durant toute l'éternité!
De là, il résulte, que la joie de Dieu est infinie en trois manières.
Premièrement, parce qu'elle a pour objet un bien infini, c'est-à-dire l'excellence de Son Essence; et cette joie est si parfaite, qu'elle égale entièrement cette Essence, et, outre cela, elle a encore pour objet les biens infinis, qui sont éminemment contenus dans l'Essence divine.
Secondement, parce qu'Il possède en même temps et collectivement toute la joie qu'Il aurait pu goûter successivement durant un temps infini. Enfin, parce qu'Il possède tout cela, non durant un temps limité, mais durant l'éternité tout entière.
C'est comme s'il existait une lumière corporelle infinie en intensité et en étendue, que toute sa perfection extensive fût concentrée en un point, que cette lumière, ainsi concentrée, fût répandue en des espaces immenses, et qu'elle fût, partout, entière, et selon toute sa perfection. De même, Dieu, de toute éternité, a simultanément et immuablement conçu et retient toutes ses pensées, tous ses conseils, tous ses décrets, de sorte qu'il ne peut survenir rien de nouveau pour lui, qu'Il ne peut penser rien de nouveau, qu'il ne peut non plus rien vouloir ni rien décréter qu'Il n'ait pensé, voulu, statué, décrété de toute éternité; qu'Il ne peut rien permettre dans le temps que ce qu'Il a résolu de permettre de toute éternité; qu'Il ne peut rien faire dans le temps que ce qu'Il a décrété de faire de toute éternité, car, pour toutes choses; et chacune en particulier, il faut un décret éternel qui précède, et sans ce décret, rien ne peut se faire dans le temps. Ce n'est pas qu'absolument Dieu ne puisse faire d'autres choses que celles qu’Il a faites ou qu'Il doit faire; loin de nous une pareille pensée, car il peut en faire d'autres, et d'autres sans fin, bien qu'en réalité il n'ait pas décrété de les faire, Mais, malgré cela, il est impossible qu'en réalité il fasse quelque chose s'Il n'a de toute éternité formé le décret de la faire. C'est pourquoi Il peut toutes choses absolument, si l'on considère Sa Puissance, Sa Sagesse et Sa souveraine Liberté de former de toute éternité tels décrets qu'il Lui a plu. Mais Il ne peut pas faire toutes choses, dans le cas, par exemple, où l'on supposerait qu'il n'y a pas de Sa part un décret qui précède. Il est de la très éminente perfection de Son éternité et de l'immutabilité de Sa grandeur éternelle d'avoir, dans Sa lumière infinie, considéré, examiné et pesé aussi exactement et aussi parfaitement toutes les choses possibles, celles qui se font dans le temps et celles qui ne se feront pas, que s'il avait délibéré et tenu conseil sur chacune en particulier durant un temps infini. D'où il résulte qu'il Lui a été facile de statuer simultanément et d'une seule fois sur toutes les choses et sur chacune en particulier, décrétant celles qui devaient être faites ou permises un temps infini après. Cela était même nécessaire, afin que Sa volonté, à l'égard de certains objets, ne demeurât pas comme suspendue, ce qui serait une imperfection en Lui.
C'est pourquoi il n'y a en Dieu aucune succession d'actes ni de l'entendement ni de la volonté. Ce qu'Il pense et qu'Il voit une fois, Il le pense et le voit toujours. Celui qu'il aime une fois, Il l'aime toujours, mais pour le temps où il est digne d'être aimé, c'est-à-dire pour le temps où il est en état de grâce. Celui qu'Il hait une fois, Il le hait toujours, non point d'une manière absolue, mais seulement pour le temps où il est digne de haine, car, pour un autre temps où il est digne d'amour, Il l'aime. Ces actes qui, selon notre manière de concevoir, existent en Dieu de toute éternité, ne cessent point à proprement parler, ni ne périssent; ils ne renaissent point non plus, ni ne sont formés de nouveau, mais ils demeurent invariables respectivement à leur objet, considéré pour un certain temps et dans un certain état, et ils ne prennent une dénomination absolue que dans le temps où les objets existent dans un certain état et pour le temps durant lequel ils existeront ou ont existé dans cet état.
3- Dieu est appelé Éternel, parce qu'Il est au-dessus de l'éternité et qu'Il est la cause de l'éternité dans les créatures; car, par Son influence toute-puissante, continuelle et immuable, à l'aide de laquelle Il crée et conserve toutes choses, Il est Lui-même la cause en vertu de laquelle le monde, les anges et les hommes demeureront et dureront éternellement, ainsi que l'état de gloire pour les uns et l'état de damnation pour les autres. Enfin, toutes choses ont reçu de Lui leur durée, la mesure de leur âge, l'espace de leur être et de leur vie, et le temps de leur naissance et de leur mort, chacune selon sa condition et sa nature. »